Descendu de ses terrasses veveysanes en chevauchant certainement un turboréacteur multicolore, le dessinateur romand et non moins artiste, Mathias Forbach, mieux connu sous le nom d’emprunt « FICHTRE ! », s’est retrouvé à faire du relooking aéronautique pour le nouveau bébé de la compagnie aérienne SWISS, un bombardier CS300 de 145 places, destiné au réseau aérien européen et qui remplacera progressivement la flotte vieillissante de la ligne helvétique.
Décollage « fichtrement » imminent
La carlingue ainsi rhabillée défile dans les plus grandes capitales d’Europe. Avec son stylo rotring 0.25mm à encre de chine et une palette de couleurs chaudes comme le jaune, rose et le rouge officiel de SWISS, Mathias nous offre une composition dense et énergisante qui met la Suisse Romande à l’honneur. Edelweiss, Fondue, vignes, pâturages, lac, soleil, Alpes, tout y passe. L’appareil se baladera entre ciel et tarmac jusqu’en décembre 2018.
Pour voir l’illustration géante en vrai ou monter à bord de l’œuvre d’art volante, c’est très simple, il suffit de faire une réservation depuis l’aéroport de Genève pour l’Europe. Il y a de fortes chances que vous tombiez sur un avion bariolé qui vous sourit ! Parmi les destinations citées par la compagnie, vous trouverez Palma (en été), Saint-Pétersbourg (en hiver) et Dublin (toute l’année).
Stylisme aéronautique
Un tel mandat aux proportions démesurées est le rêve de tout designer. Mathias Forbach nous confie que « le projet était tellement absurde et gargantuesque qu’il en est devenu totalement excitant ». Chargé d’adrénaline, le jeune artiste vaudois n’a pas hésité une seule seconde face à l’ampleur du défi qu’il s’apprêtait à relever. « J’ai tout de suite dit oui ». Et on le comprend. Lorsque ton illustration voyage sur un avion qui dessert les 27 destinations européennes les plus fréquentées, cela signifie « visibilité optimale ».
« Le rêve d’un artiste est que son art voyage, quoi de mieux qu’un avion ? » souligne Mathias. L’art devient nomade, baladeur, itinérant. Alors que les quatre murs d’un musée ou d’une galerie sont statiques et immobiles. Les gens doivent venir visiter. Ici, c’est l’avion qui visite et surprend les voyageurs.
De plus, cette livrée spéciale de Mathias, veveysan très attaché à sa terre, a pour sujet un thème qui lui est cher : la Suisse Romande. Suite à un concours online participatif qui posait la question « Que signifie pour vous la Suisse Romande ? » la compagnie a recueilli plus de 7000 avis d’internautes. La base des réponses les plus fréquentes ont donné le fil rouge à Mathias pour ses dessins.
Un concours, quatre mois, un avion
C’est une agence de communication zurichoise qui a contacté Mathias en mars 2017. Le projet a tout d’abord fait l’objet d’un concours artistique. Mathias Forbach a été choisi parmi une sélection de plusieurs artistes romands mais n’a pas voulu savoir qui étaient ses « concurrents » pour ne pas être perturbé dans son processus de création et s’assurer un maximum de confiance en son travail.
Socialize Magazine a été soufflé par la rapidité d’exécution de ce projet. La mue complète de l’appareil, entre le coup de téléphone de l’agence zurichoise et la pose de l’autocollant illustré sur l’avion, aura duré moins de quatre mois !
C’est au mois d’avril 2017 que les dessins finaux ont vu le jour et qu’ils ont été validés par SWISS. En réalité, ce sont plus de 300 autocollants de forme rectangulaire qui ont été appliqués sur l’avion. Mais pas que ! Mathias Forbach a également décoré 90 tablettes, tous les gobelets de l’avion et six cartes postales illustrant les six cantons romands. Malheureusement, tout cela est éphémère. Le projet a une durée de vie limitée et changera de peau en 2019.
Le casse-tête numérique
La recette d’une illustration sur avion n’est pas sans maux de tête : esquisses au crayon sur papier calque format A3, encrage du dessin au stylo, scan des feuilles, montage Photoshop, fichiers lourds et ordinateur qui rame, vectorisation du dessin sur Illustrator, pose de calques numériques puis couleurs à la tablette graphique.
« Je passais d’un programme à un autre. J’ai frôlé le plantage numérique plusieurs fois. J’ai clairement transpiré voire perdu quelques cheveux (rires) ».
L’agence récupère les fichiers et les transmets à un sous-traitant spécialisé dans la pose d’autocollants. « Ils ont découpé mes fichiers en un puzzle géant de 300 pièces rectangulaires autocollantes, avec des millions de micro-respirations qui permettent d’éviter les bulles d’air à la pose ». Durant les deux jours que nécessite la pose du film autocollant spécial, environ 15 personnes étaient mobilisées, dont Mathias. 36 heures de travail en équipe. Chapeau !
Le sourire malicieux de l’appareil
« Le sourire était l’élément le plus dur à réaliser alors que c’était le point de départ de mon dessin ! » souligne Mathias Forbach. Sur une feuille de papier standard, dessiner un sourire est un jeu d’enfant. Sur un plan d’avion en deux dimensions, tout semble plus compliqué car le volume du nez de l’avion mis à plat est complètement déformé.
« J’ai dû dessiner le sourire à même l’avion avec du papier craft et du scotch. »
Et même en prenant le problème à bras le corps, Mathias Forbach rencontre quelques difficultés. Le sourire ne lui plait pas. Il paraît narquois, moqueur. Pendant une journée entière, Mathias se demande s’il va réussir à faire le sourire joyeux que tout le monde espère. A la fin de la journée, il décide de le courber et de l’abaisser largement. Miracle, sourire parfait.
« J’ai compris que parfois, le temps permet de décanter une idée et qu’il ne sert à rien de précipiter les choses. »
Maman, j’ai pas raté l’avion !
On imagine volontiers le petit Mathias, 4 ans, faire son premier avion en papier. Quelques vingtaines d’années plus tard, c’est lui qui décore l’appareil, un vrai cette fois. Comble du comble, il paraît que l’artiste détestait prendre l’avion lorsqu’il était plus jeune. Comme quoi la vie nous fait toujours de jolis clins d’œil.
Mais quand on a fait un avion, que fait-on ensuite ? Mathias Forbach, avec beaucoup d’humour, nous répond « faire le drapeau d’un pays, ou relooker une fusée de la NASA ». Nous l’attendons au tournant, avec impatience. Bon voyage Mathias !
Note sur l’artiste
Mathias Forbach (Fichtre) est né en 1983 à Vevey. Il intègre l’Ecole cantonale d’art de Lausanne et obtient son Bachelor en Media & Interaction Design en 2005. Il enseigne, depuis 2009, l’illustration au sein de l’École cantonale d’art du Valais à Sierre et décide, à partir de 2012, de parfaire son éducation artistique en suivant le programme Work, Master de la Haute École d’art et de design, à Genève. Il confonde l’espace d’art STADIO à Vevey en 2014 avec Joëlle Nicolas, Guillaume Ehinger et Jacques Duboux. Lui est décerné un Master en Arts Visuels en 2015. Indépendant dans le domaine des arts graphiques, il pratique le dessin et utilise l’illustration comme moyen d’expérimentations et de recherches. La surface d’exploitation est centrale dans sa démarche. En effet, ce socle est constamment remis en question et renouvelé. Sa marque de fabrique est une recherche constante de nouveaux supports et de surfaces d’exploitation différentes.
Retrouvez Mathias sur son site internet :
http://www.fichtre.ch